Principes fondateurs

La problématique de la violence sexuelle et de sa prise en charge est une question aussi épineuse que délicate et suscite bien des controverses.

De par ses liens étroits avec l’intime et les interdits, elle suscite bien souvent, au-delà d’une grande difficulté à se la représenter, du rejet, du dégoût voire des croyances erronées.  Cette posture de non-recevoir limite la perspective, d’une part de pouvoir la déposer dans le chef de celui qui la pense ou l’agit, et d’autre part de la prendre en charge dans le chef de celui qui en serait dépositaire.

Le caractère systémique des violences sexuelles ne doit pas être négligé. Appréhender le phénomène des violences sexuelles dans une logique linéaire, en ne considérant que les victimes, reviendrait à ne voir qu’un pan de la problématique, à en développer une vision partielle au risque de ne pas pouvoir mobiliser l’ensemble des moyens utiles à une gestion globale.

Penser que les personnes qui ont des intérêts sexuels déviants sont « des monstres » et, donc, non dignes de considération, participe à alimenter la complexité du phénomène des violences sexuelles et ne permet pas de réduire les comportements problématiques et donc le nombre de victimes potentielles.

Le repli sur soi, privilégié comme mécanisme mis en place par les personnes concernées par des fantasmes déviants, nous est régulièrement rappelé par nos consultants. En effet, ils expriment avoir privilégié le silence, l’isolement, et parfois le passage à l’acte face à une détresse qui ne pouvait trouver d’écoute attentive et non jugeante.

Dans ce contexte, les professionnels intervenant aux différents niveaux (ligne téléphonique, réponse aux mails, prise en charge thérapeutique) partagent et adhérent à un certain nombre de valeurs communes.

La présente démarche a pu s’inspirer du travail et de l’expérience de démarches similaires en Flandre (stopitnow.be), en France (S.T.O.P.) et en Suisse (disno.ch), dont nous remercions ici les auteurs.

À propos du public-cible

  • Les personnes préoccupées par des fantasmes, sentiments sexuels déviants ou susceptibles de nuire à autrui éprouvent souvent un seuil élevé de stress à l’idée de solliciter de l’aide, par peur de l’incompréhension, du rejet, de la stigmatisation, ou de la violation du secret professionnel et par conséquent du dévoilement de leurs difficultés.
  • Elles ne choisissent pas leur attirance ou leurs fantasmes mais peuvent choisir de ne pas les agir et/ou de demander de l’aide. Le fait d’être préoccupé par des fantasmes et des sentiments sexuels déviants ou susceptibles de nuire à autrui n’implique pas systématiquement un passage à l’acte transgressif.
  • Les personnes ayant ces préoccupations, ainsi que celles qui bénéficient d’un suivi pour des infractions à cet égard, peuvent chercher du soutien pour mener leur vie dans les limites légales et conformément à leurs propres valeurs et normes.
  • Elles peuvent, comme toute autre personne, éprouver d’autres problèmes de vie au sens large ou vivre des difficultés d’ordre psychiatrique pour lesquels elles demandent une aide thérapeutique, en plus ou en combinaison au problème lié à la sexualité pour lequel elles nous sollicitent. Il s’agit à ce titre, de partir des préoccupations de la personne et non uniquement de ce qui nous semblerait important de travailler dans une logique de réduction du risque.
  • Les causes des comportements sexuels déviants sont à envisager dans une logique pluri-dimensionnelle et multi-factorielle.
  • Certaines personnes recourent, dans le cadre de leurs pratiques sexuelles, à des comportements sexuels déviants par rapport à la norme prescrite, sans pour autant que ces comportements nécessitent une prise en charge. Nous n’avons en effet pas à normer ce qui est acceptable ou ne l’est pas dès lors que ces pratiques prennent place dans une sexualité librement consentie par les partenaires, en âge ou en capacité de consentir.
    Les comportements sont considérés comme pathologiques à partir du moment où ils induisent une obligation de les répéter, génèrent de la souffrance dans le chef de celui qui les adopte et/ou un vécu de non consentement et de souffrance pour celui qui les subit.
  • Ces personnes peuvent avoir évité, jusque-là, tout processus thérapeutique, de peur que le thérapeute ne se concentre que sur l’aspect problématique de leur personne et focalise son attention sur la gestion des risques plutôt que sur l’accompagnement global.
  • Ces personnes n’ont pas toujours besoin de conseils professionnels ou de traitement, car elles trouvent un soutien social dans leur environnement ou parviennent à développer par elles-mêmes les ressources nécessaires à la gestion de leurs difficultés.

Quels principes sous-tendent la prise en charge ?

Le thérapeute reconnaît que les principes suivants sont essentiels pour guider ou traiter les personnes préoccupées par des fantasmes, sentiments, comportements sexuels déviants ou susceptibles de nuire à autrui.

Le secret professionnel

Le secret professionnel est une règle à laquelle le professionnel est obligé de se soumettre. Il est un outil de travail indispensable. Il permet la confiance et la sécurité au sein du lieu thérapeutique.

Notre postulat est que l’aide apportée à chaque personne profite également à la protection de la société.

Art. 458 – Les médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice (ou devant une commission d’enquête parlementaire) et celui où la loi, le décret ou l’ordonnance les oblige ou les autorise à faire connaître ces secrets, les auront révélés, seront punis d’un an d’emprisonnement.

Une approche humaniste

Pour tisser la relation thérapeutique nécessaire au traitement, il importe d’avoir un postulat que l’on pourrait qualifier d’humaniste, à savoir qu’il existe en chaque personne une part d’humanité, qu’il nous faut trouver, rejoindre, sur laquelle s’appuyer et qui permet alors au patient d’entamer un processus de changement.

Il existe en chaque personne une part d’humanité…

Les personnes de notre public-cible doivent être traitées avec respect. Elles doivent être accompagnées de manière bienveillante, sans jugement.  

Le traitement se fait sur la base volontaire. Le bénéficiaire ne doit en aucun cas être contraint ou se sentir contraint.

Quand le bénéficiaire a posé un acte sexuel déviant dans le passé, a commis un abus, il importe de garder à l’esprit que c’est le comportement qui est problématique, pas la personne.

Le thérapeute/l’intervenant n’a pas la connaissance absolue du patient, ce dernier doit être traité comme un individu unique qui dispose des clefs pour la compréhension de son propre fonctionnement. Le thérapeute/l’intervenant ne détient en aucun cas la vérité à ce propos.

Une approche centrée sur la personne et non sur le comportement

Privilégier une approche centrée sur le comportement est susceptible d’entraîner des biais d’appréciation et crée de la stigmatisation. Les conséquences d’un étiquetage de ses comportements sont notamment de réduire la personne à son acte, au départ de certains de ses attributs et de passer ainsi à côté d’une prise en compte globale de l’individu.

Un vécu de stigmatisation conduit la personne à entrevoir son avenir comme bouché et ne lui permet pas de développer des capacités nécessaires à une mobilisation de ses ressources et donc à un changement de ses comportements problématiques.

La personne peut ainsi s’enfermer dans des sentiments négatifs, tels que la honte, la culpabilité, la mésestime de soi et la dépression, de manière à maintenir le comportement problématique.

Se centrer sur la personne, c’est tenir compte de ses ressources et de ses besoins. Cette disposition suppose de partir du potentiel du sujet, de lui permettre de prendre conscience des besoins qui ne sont pas rencontrés dans sa vie et du fait qu’adopter des comportements déviants l’éloigne de ce qui pourrait contribuer à son bien-être et donc à un respect de lui-même et d’autrui.

Le diagnostic posé doit être mis au service de l’identification des besoins, difficultés et pistes de changement pour le sujet et non au service d’une étiquette qui aurait pour fonction d’enfermer la personne.

Se centrer sur la personne avant tout ne signifie pas que l’on développe des hypothèses de compréhension centrées uniquement sur l’individu, sa personnalité, ses croyances, son mode de fonctionnement. Au-delà des causes internes à la personne, il est essentiel de considérer celles qui dépendent du contexte et de sa situation, dans une approche systémique. Envisager la personne dans sa globalité c’est appréhender le comportement problème comme le résultat d’influences multiples et lui redonner un pouvoir d’agir sur sa situation.

Vers une réduction des préjugés

Nous reconnaissons qu’il y a une grande stigmatisation des personnes préoccupées par des fantasmes, sentiments, comportements sexuels déviants ou susceptibles de nuire à autrui. Ceci est présent dans le chef des médias, du grand public, des politiciens, … mais aussi de certains prestataires de soins.

Nous nous opposons à la propagation de stéréotypes, à l’utilisation d’une terminologie qui ne favorise pas la compréhension des difficultés du groupe-cible et qui diminue la perception de leur humanité.

Nous sommes conscients que la stigmatisation et les stéréotypes peuvent conduire les personnes préoccupées par des fantasmes, sentiments, comportements sexuels déviants ou susceptibles de nuire à autrui à rester dans le secret ; ce qui peut les empêcher de demander de l’aide quand ils en ont besoin.

Nous avons donc la responsabilité de nous opposer à ces stéréotypes et de contribuer à donner une image nuancée et correcte de ce problème.

Nous ne pensons pas que l’exclusion et la diabolisation contribuent au bien-être du groupe-cible ni à la sécurité de la société.

Nous ne pensons pas que l’exclusion et la diabolisation contribuent au bien-être du groupe-cible ni à la sécurité de la société. Dans cette optique, l’attention du thérapeute/intervenant doit toujours être positive et inconditionnelle. Cela ne veut en aucun cas dire qu’il doit être d’accord et adhérer à la vision de la personne mais bien avoir la volonté de comprendre sa carte du monde (ses représentations, son histoire, son mode de fonctionnement, son ressenti,…) sans faire intervenir un jugement ou une conception d’ordre morale ou idéologique. Le but poursuivi étant que la personne se sente entendue et accompagnée dans la direction qu’elle aura choisie (écoute de sa réalité, réorientation).

Des thérapies basées sur les données probantes

La principale erreur commise par les thérapeutes est la conviction qu’une personne ayant une attirance sexuelle pour les mineurs ou présentant un autre type de déviance sexuelle a commis ou commettra inévitablement une agression sexuelle.

Parmi les modèles d’évaluation et de traitement des comportements sexuels problématiques, le modèle du Risque – Besoin – Réceptivité (Andrews & Bonta, 2006) est reconnu comme étant le plus efficace pour réduire la récidive (Lafortune et Cortoni, 2009).

Toutefois, certains auteurs s’accordent à dire qu’une faiblesse du RBR réside dans sa difficulté à promouvoir une accessibilité et un maintien dans la prise en charge. En effet, le RBR ayant pour cible prioritaire de traitement la réduction de la récidive, il lui est reproché de ne pas suffisamment favoriser la création d’une relation de confiance et une alliance de travail entre thérapeute et usager.

Pour contourner cet écueil, d’autres modèles, comme le Good Lives Model (Ward 2000), centré sur les besoins et ressources internes et externes de la personne, en appui des principes du RBR, est reconnu comme favorisant des conditions propices à un engagement dans le traitement.

Notre objectif n’est pas de changer le comportement de la personne mais de lui offrir un cadre sécurisant au sein duquel elle pourra se sentir écoutée et considérée sans jugement. Toutefois, nous pouvons poser l’hypothèse que cette attitude de non-jugement et le vécu de prise en considération par la personne de ses difficultés sera de nature à susciter une demande de prise en charge thérapeutique.

SéOS soutient des formes de thérapie dans lesquelles une priorité est donnée aux forces, ressources et compétences des personnes. Porter son attention exclusivement sur les carences et déficits n’encourage pas une approche globale de la situation.

Ce qui implique, du point de vue de la posture du thérapeute, qu’il s’interroge sur les attitudes qui favoriseront une relation de confiance. Cette relation positive et constructive, relève d’une responsabilité partagée entre thérapeute et bénéficiaire et renvoie aux principes qui ont été précisés ci-dessus. Il s’agit donc d’un ensemble de principes théoriques qui doit guider les interventions de l’écoutant/thérapeute du point de vue de la posture qu’il a à privilégier.

Formation continue

Les thérapeutes/intervenants désireux de travailler avec ce groupe cible poursuivent leur formation, évoluent professionnellement et bénéficient des intervisions et des conseils dans le décours de leurs traitements.

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